jeudi 7 août 2014

Tes mots caresse de carte postale


Elle commence par le toucher d’une peau plus ou moins familière qu’on effleure du bout des doigts dans le temps suspendu. Mais elle ne serait rien si, mieux encore, elle n’allait beaucoup plus loin. La caresse a d’autres vertus, d’autres vecteurs. Elle a ses notes, ses effluves et ses couleurs. Elle a aussi sa transgression dans un monde qui repousse les corps sauf s’il s’agit de les capturer, les posséder, les manipuler ou les détruire… Ce monde où la peur du contact retarde le toucher, la surprise, la rencontre, l’instant sublime où s’emparent à plein cœur les corps perdus pour jouer ensemble la note ultime, dans les replis infinis de leurs paysages intimes. 
Et parfois même, la caresse va encore plus loin, quand, immatérielle, elle n’est que suggérée, incarnée dans un geste ou la pensée de l’autre.
Ta belle carte postale me l’a montré, le cachet de la poste en fait foi. Foi de mots surprises en pleins et en déliés, foi d’un appel aux jeux de nos lèvres et nos mains, foi des émois d’une quête que réchauffent, même à distance, les ardeurs de l’insatiable désir.
Ta caresse avait cette fois une couleur sable, rehaussée du rouge coquelicot d’une fleur éphémère. Plein sel, elle avait l’odeur de l’algue et les arômes rugueux d’un coquillage échoué. Elle portait le souvenir de nos incursions charnelles et rapportait le fruit violet de nos souffles impatients. Elle dansait sur la plage d’un rêve de partage. Dans l’immédiateté de ce que réussissent ensemble sans s’être concertés, comme par miracle, une plume, un chant, une terre, ta carte et son envol entre deux cieux.

Collage : Mo



samedi 16 novembre 2013

Les chacals de la nuit (à Denise)


Ils sont passés te prendre hier soir, les chacals de la nuit. 
Tu les attendais un peu… Mais pas si vite, pas déjà, pas ce soir dès la tombée du jour, pas encore, pas maintenant. La horde hurlante n’a fait de toi qu’une bouchée te délivrant peut-être des souffrances d’ici-bas. 
Puis va savoir pourquoi, la meute a envahi ma nuit et transformé soudain mon rêve en pire des cauchemars : j'étais mangé vivant, dévoré, déchiré les bras ballant et le reste à l’encan.
Est-ce ainsi que les hommes meurent ? Tout est affaire de décor…

dimanche 20 octobre 2013

Mémoire d’automne

C’est un doux dimanche d'automne, quand l’été ne veut pas finir et que tu te raccroches au souvenir d’autres dimanches plus chauds, d’autres caresses que celles d’un soleil pâle et tiède sur tes frêles épaules à peine recouvertes. Tu a croisé les doigts et posé tes mains sur le carnet refermé où sont notés les événements du jour, les courses du matin, ce qu’il faudra penser à ranger avant la nuit, les téléphones aux amies, ce dimanche, c’est le tour de C***, tu as même écrit pour ne pas l’oublier ce que tu devais lui demander, quelle était donc cette foutue date où tu étais rentrée sans elle à l’appartement parisien pour ne pas éveiller les soupçons… C'est important, ta mémoire te joue des tours. Mais s’en souviendra-t-elle ?
Sur l’autre rive du lac que tu rejoignais autrefois pour vingt sous par le bac, tu le revois marcher à ton bras de son pas lent tout en te racontant sa dernière trouvaille, un bouquin qu’il a sauvé de l’oubli en l’extirpant des entrailles d’un casier vert, en bord de Seine, quai Malaquais. Qu’est devenu ce trésor ? Vendu peut-être, lui aussi.
La lumière se détend, s’endort presque, une moiteur fraiche monte du lac, il faut rentrer.  Prendre les dernières caresses du soir sur le chemin balisé de ta promenade dominicale. Semer encore les quelques bribes d’une mémoire en sommeil, on ne sait jamais, les souvenirs pourraient repousser, revenir et, avec toi, retenir la nuit qui vient.

jeudi 3 octobre 2013

Twas…

… our day in white satin.

C’était un jour de coton.  Nous marchions à Lisbonne dans le cocon d’une ruelle étroite aux pavés bleus, serrés, souviens-toi, beco da mo. Pas de satin dansés dans la blancheur d’un matin clair, les mains nouées, la tête en l’air. Les murs gazouillaient les notes enjouées de nos murmures heureux. Dans les reflets d’une vitrine oubliée, nous eûmes mille ans quelques instants…

vendredi 9 août 2013

Nectar

Comme l'ambroisie tombée du nid
dans mon allée, sous l'olivier 
cinquantenaire, 
une aube fraiche, endormie, 
envolée, 
pétale d'étoile, éclat de fleur, bouton de ciel, 
caprice des dieux. 
Caressée ce matin par les rameaux de buis 
fantasques 
et turbulents,  
agités par le vent sur ta peau frissonnante 
aux ombres vacillantes.
Nectar d'été que je butine.

samedi 29 juin 2013

Sois sage ô mon image !


« Sois sage ô mon image et tiens-toi plus tranquille,
Tu voulais le miroir, je le tends, le voici.
Une atmosphère fébrile a réchauffé le nid,
Il apporte la paix, efface le souci.
Sous le fouet du plaisir, ce bourreau sans merci,
Nous cueillons les remords dans la chambre servile
Mon image, donne moi la main, viens par ici
Entends ma chère, entends venir l'aube claire qui luit. »
pcc Ch. Baudelaire.
Photo : mo - Edition : moi
Ici, l'édition par mo de sa propre photo.

lundi 25 mars 2013

Il est ce qu'il est, il est ce qu'il devient

Charlottenburg, Berlin.

Il est ce qu'il est, il est ce qu'il devient. D'abord il cherche le chemin, ouvre sa voie, transperce un tapis de moisissures, passe entre deux cailloux, un lichen, trois champignons vénéneux, un reste de croûte d'écorce terrestre et un chapelet de fraise des bois. Puis il surgit, escalade le ciel comme aspiré par la lumière, s'y agrippe et la dévore. Il grandit à l'ombre des aînés, les singe et fait son trou, s'enracine, se durcit, s'affirme dans la plus austère des solitudes mais sans le moindre doute sur sa propre grandeur. Il n'a peur ni des vents ni de l'obscurité pesante des nuits sans lune. Il est éternel comme le diamant. On admire sa puissance. Il est immortel.
Il est ce qu'il est, il est ce qu'il devient, dès les premiers tourments. Est-ce la sève qui s'empâte ? La vue qui s'obscurcit ? Le ciel qui se couvre ? Un noir d'ébène gagne peu à peu, assombrit le chemin. Premier obstacle. Premier coude. Il bifurque et cherche d'autres cieux. Le voilà qui se tord pour ne pas se briser. S'arc-boute souvent aux passages difficiles. S'use et se fatigue. Mais il poursuit l'ascension qui le mènera au ciel. Coude après coude, coûte que coûte, il monte aveuglément au soleil. Il est ce qu'il est, il est ce qu'il devient. Tête en l'air mais têtu.
Il est ce qu'il est, il est ce qu'il devient lorsque surviennent les premiers doutes. Se tord encore un peu pour regarder derrière aussi, plus bas, voir d'où il vient et mieux savoir, peut-être, où il atterrira. S'il atterrit un jour. Si par malheur il fallait en finir. S'il devait rendre à la terre ce qu'il en a reçu.
Il est ce qu'il est, il est ce qu'il devient lorsqu’apparaît, un triste soir de gris, la grande peur de la nuit éternelle. Tous ses membres le brûlent, les veines éclatent et l'écorce, ici et là, se fend. Mais qu'importe, puisqu'il est éternel. Il est comme le diamant, se moque du temps qui ronge. Il lève une dernière fois les yeux, de crainte et de dépit. Puis les referme en paix.
Il est ce qu'il est, il est ce qu'il devient, et se voit maintenant comme l'amour qui, faute d'éternité, sait jour après jour comment redessiner le ciel.