lundi 25 mars 2013

Il est ce qu'il est, il est ce qu'il devient

Charlottenburg, Berlin.

Il est ce qu'il est, il est ce qu'il devient. D'abord il cherche le chemin, ouvre sa voie, transperce un tapis de moisissures, passe entre deux cailloux, un lichen, trois champignons vénéneux, un reste de croûte d'écorce terrestre et un chapelet de fraise des bois. Puis il surgit, escalade le ciel comme aspiré par la lumière, s'y agrippe et la dévore. Il grandit à l'ombre des aînés, les singe et fait son trou, s'enracine, se durcit, s'affirme dans la plus austère des solitudes mais sans le moindre doute sur sa propre grandeur. Il n'a peur ni des vents ni de l'obscurité pesante des nuits sans lune. Il est éternel comme le diamant. On admire sa puissance. Il est immortel.
Il est ce qu'il est, il est ce qu'il devient, dès les premiers tourments. Est-ce la sève qui s'empâte ? La vue qui s'obscurcit ? Le ciel qui se couvre ? Un noir d'ébène gagne peu à peu, assombrit le chemin. Premier obstacle. Premier coude. Il bifurque et cherche d'autres cieux. Le voilà qui se tord pour ne pas se briser. S'arc-boute souvent aux passages difficiles. S'use et se fatigue. Mais il poursuit l'ascension qui le mènera au ciel. Coude après coude, coûte que coûte, il monte aveuglément au soleil. Il est ce qu'il est, il est ce qu'il devient. Tête en l'air mais têtu.
Il est ce qu'il est, il est ce qu'il devient lorsque surviennent les premiers doutes. Se tord encore un peu pour regarder derrière aussi, plus bas, voir d'où il vient et mieux savoir, peut-être, où il atterrira. S'il atterrit un jour. Si par malheur il fallait en finir. S'il devait rendre à la terre ce qu'il en a reçu.
Il est ce qu'il est, il est ce qu'il devient lorsqu’apparaît, un triste soir de gris, la grande peur de la nuit éternelle. Tous ses membres le brûlent, les veines éclatent et l'écorce, ici et là, se fend. Mais qu'importe, puisqu'il est éternel. Il est comme le diamant, se moque du temps qui ronge. Il lève une dernière fois les yeux, de crainte et de dépit. Puis les referme en paix.
Il est ce qu'il est, il est ce qu'il devient, et se voit maintenant comme l'amour qui, faute d'éternité, sait jour après jour comment redessiner le ciel.


samedi 16 mars 2013

Fusion

Bundestag, Berlin

C’est compliqué. Prendre deux photographes et les promener dans la ville. Les pousser un peu, forcer le destin et les conduire là où le temps, le froid, l'incertitude ne leur donnaient pas vraiment envie d'aller. Ni même la chance de réussir. De shooter bien. Les installer dans un courant d’air et les obliger à se regarder. A lever le regard. A briser l’effet de glace appelé aussi l'effet de surprise. Quand ils se regardent bien, les laisser mijoter un moment. Ils doivent trouver leur reflet. Les laisser faire. Au début c'est chaotique. Regarder prendre la sauce puis la fouetter. Fort. Le froid les a saisi. Il faut les détendre. Après, juré, c'est onctueux. Un peu cubiste mais fort digeste. C'est ailleurs, c'est autrement. C'est comme ça. On aime ou on n'aime pas. Vous le gardez longtemps en bouche. Vous avez réussi la fusion.

jeudi 14 mars 2013

Wie du solltest geküsset sein ~ Comme il faudrait t'embrasser



Wie du solltest geküsset sein
Wenn ich dich küsse
ist es nicht nur dein mund
nicht nur dein nabel
nicht nur dein schoß
den ich küsse
Ich küsse auch deine fragen
und deine wünsche
Ich küsse dein nachdenken
deine zweifel
und deinen mut
deine liebe zu mir
und deine freiheit von mir
deinen fuß
der hergekommen ist
und der wieder fortgeht
ich küsse dich
wie du bist
und wie du sein wirst
morgen und später
und wenn meine zeit vorbei ist

Comme il faudrait t’embrasser
Quand je t'embrasse
ce n'est pas seulement ta bouche
pas seulement ton nombril
pas seulement ton sexe
que j'embrasse
j'embrasse aussi tes questions
et tes désirs
j'embrasse ta manière de penser
tes doutes
et ton courage
ton amour pour moi
et ta liberté de moi
ton pied
qui est arrivé ici
et qui s'en ira de nouveau
je t'embrasse
comme tu es
et comme tu seras
demain et plus tard
lorsque mon temps sera passé

Erich Fried

vendredi 8 mars 2013

La fille dans la vitrine


La fille dans la vitrine balançait ses reflets peaufinant mille visages croqués au bleu de l’âme… La fille dans la vitrine secouait les yeux gourmands le flâneur imprudent, quidam vampé qui stoppa net et la fixa. Après les regards, des doigts se sont croisés… Après la pause, le temps s’est effacé bientôt suivi par d’autres poses. Les courses étaient finies. La vitrine oubliée. Ils avaient pu briser la glace.